Guide Michelin 2024 : le match des régions

Guide Michelin 2024 : le match des régions
© Michelin

Après la cérémonie qui a réuni tout l’écosystème de la gastronomie à Tours le 18 mars dernier, découvrez notre décryptage du palmarès 2024, avec un focus régional et des interviews de lauréats de la promotion 2024 et de Gwendal Poullennec, directeur international des guides Michelin.


 


Régions fortes vs régions en devenir
Pour sa nouvelle édition, le guide Michelin a créé la surprise en distinguant simultanément un candidat très attendu –


© Michelin


Jérôme Banctel – et un jeune chef prometteur – Fabien Ferré. Deux facettes d’une même pièce qui pourraient résumer la polarisation des étoilés 2024. Les régions Île-de-France et PACA sont en effet parmi les grandes gagnantes du palmarès cette année, avec 45% des nouvelles tables étoilées à elles deux et surtout, deux nouveaux trois-étoiles.


Si l’on revient dans le détail sur cette sélection 2024, l’Île-de-France prend donc la tête du classement 2024, avec un nouveau 3-étoiles – Le Gabriel à La Réserve de Jérôme Banctel (voir ci-dessous) ; 3 nouveaux 2-étoiles et 13 nouveaux 1-


©LiveandShoot-Michelin


étoile, dont un seul hors de Paris. Cela porte à 137 le nombre d’étoilés dans la région capitale. En deuxième position, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur s’illustre avec un nouveau 3-étoiles au Castellet, un nouveau 2-étoiles avec Le Mas Les Eydins et 8 nouveaux 1-étoile. La région PACA peut ainsi s’enorgueillir de compter 81 tables étoilées, ce qui en fait la troisième région française en la matière, derrière l’Auvergne-Rhône-Alpes. Cette dernière voit émerger en 2024 deux nouveaux 2-étoiles, avec la Maison Benoît Vidal et le restaurant Sylvestre Wahid – tous deux installés côté montagne – et 9 nouveaux


© Michelin


établissements 1-étoile. Elle compte désormais 100 établissements étoilés. Quant à l’Occitanie, elle peut se targuer de 11 nouveaux 1-étoile à son palmarès, ce qui en fait la 2e région en la matière derrière l’Île-de-France dans le palmarès 2024.


Si la Bretagne s’est distinguée grâce à 10 Bib Gourmands, elle ne compte que trois nouveaux étoilés, portant à 36 leur nombre total dans la région, ce qui en fait la 7e région française en la matière. La Nouvelle-Aquitaine, 4e région française en matière de tables gastronomiques, est mieux dotée au global, avec 59 établissements étoilés, mais réalise une contre-performance avec seulement 3 nouveaux lauréats cette année. Le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val de Loire, la Corse et Monaco arrivent en fin de classement, avec un seul nouvel étoilé chacune. Dans ce match des régions, les grandes perdantes sont la Normandie, les Pays de la Loire, qui ne comptent aucun nouvel étoilé.


Enfin, comme chaque année, on ne peut que déplorer le manque de cheffes récompensées. Un sujet que le guide Michelin a néanmoins adressé à travers un film mettant à l’honneur les femmes de la gastronomie, diffusé lors de la cérémonie.


 


Les 62 nouveaux étoilés 2024 par région


© Shutterstock


 


 


Jérôme Banctel et Fabien Ferré auréolés de 3 étoiles


Parmi les temps forts de la cérémonie, la distinction de deux nouvelles tables au rang de trois-étoiles au Gabriel à La Réserve (Paris – 75), et son chef Jérôme Banctel et La Table du Castellet (Le Castellet – 83) et son chef Fabien Ferré.


Jérôme Banctel (Le Gabriel à La Réserve - Paris – 75)
C’est dans un hôtel particulier du 8e arrondissement de Paris, La Réserve, que le chef breton Jérôme Banctel obtient sa troisième étoile au sein du restaurant Le Gabriel. À 52 ans, au sommet de son art, sa carte fait la part belle aux produits de la mer et se caractérise par un goût marqué pour l’acidité et un travail sur les sauces et les jus. Passé notamment par le Jules Verne, le Crillon époque Christian Constant ou l’Ambroisie, il a notamment été chef du Lucas Carton, avant de prendre la tête des cuisines du Gabriel en 2015. Il avait obtenu deux étoiles Michelin en 2016, moins d’un an après l’ouverture du restaurant. 8 ans plus tard, il obtient la distinction ultime.


Fabien Ferré (La Table du Castellet - Le Castellet – 83)
À 35 ans, Fabien Ferré devient le plus jeune trois-étoiles de France. Né en Bourgogne de parents pâtissiers-chocolatiers et de grands-parents agriculteurs, il est notamment passé par Les Terrasses avec Jean-Michel Carrette, Le Moulin de Martorey avec Jean-Pierre Gillot ou encore la Maison Troisgros. En 2014, il obtient le Trophée Espoir du magazine Le Chef. Ces dix dernières années, il s’était illustré en tant que second du chef Christophe Bacquié, qu’il a accompagné dans la conquête des trois étoiles au Castellet en 2018. Au départ de son mentor en 2023, il a pris la relève en tant que chef de cuisine. Fait d’armes notable, il obtient directement le plus haut niveau de récompense du guide Michelin à la réouverture de l’établissement, sans passer par les étoiles intermédiaires.


 


Jérôme Banctel,
Le Gabriel*** (La Réserve Paris)
Paris (75)


Vous attendiez-vous à cette 3e étoile ?
Je l’espérais un jour, je travaillais dans l’optique de l’avoir, mais cette année plus qu’une autre, non.


Qu’avez-vous ressenti au moment où votre nom a retenti ?
Je pense que cela s’est vu sur les images, j’ai eu ce cri de libération, ce cri qui vient du cœur, un cri de soulagement et de plaisir. Enfin ! C’était vital, d’un point de vue professionnel, j’en avais besoin. C’est la reconnaissance d’un parcours et de toutes ces années de travail. Et que les chefs 3-étoiles accueillent les nouveaux 3-étoiles sur scène, j’ai trouvé ça formidable.


Quand on atteint l’objectif ultime, quelle est l’étape suivante ?
Après avoir apprécié ce moment, dès le lendemain, mon équipe et moi sommes repartis, avec l’objectif de garder cette 3e étoile et en nous fixant de nouveaux objectifs. Nous allons affiner certaines choses que nous pouvons améliorer, aller chercher d’autres titres, par exemple aux 50 Best.


Que change cette 3e étoile pour vous et pour le restaurant ?
Nous avons une déferlante de réservations ! Nous n’avons que 9 tables : il faut arriver à placer nos clients d’avant, bloquer des tables pour les clients de l’hôtel… Mais ça se gère, c’est une bonne chose ! Il faut rester au contact avec une nouvelle clientèle encore plus exigeante, internationale, qui ne fait que des établissements 3-étoiles. On fait encore plus attention qu’avant. J’ai envie que les clients soient d’accord avec le guide Michelin.


Quelle réaction vous a le plus touché ?
Celle de mon patron m’a touché, car j’ai ressenti une émotion de sa part dont je ne me rendais pas compte. Quand nous avons ouvert, nous n’allions pas du tout dans cette direction. La réaction de mes parents aussi, évidemment. Et les messages des autres chefs, quand ils m’ont dit que c’était légitime.


 


 


8 nouvelles tables récompensées de 2 étoiles


Le palmarès des nouveaux deux-étoiles fait la part belle à la capitale avec trois nouvelles adresses distinguées, ce qui porte à 75 les restaurants titulaires du double macaron.


Maison Benoît Vidal – chef Benoît Vidal – Annecy (74)
Les Grandes Alpes – chef Sylvestre Wahid – Courchevel (73)
Maison Ronan Kervarrec – chef Ronan Kervarrec – Saint-Grégoire (35)
Le Jules Verne – chef Frédéric Anton – Paris 7e (75)
Maison Ruggieri – chef Martino Ruggieri - Paris 8e (75)
L'Orangerie – chef Alan Taudon – Paris 8e (75)
Le Mas Les Eydins – Christophe Bacquié – Bonnieux (84)
Les Ambassadeurs by Christophe Cussac – chef Christophe Cussac – Monaco


Une sélection de 52 nouveaux 1-étoile
Parmi les 52 tables qui décrochent une première étoile, plus d’une trentaine sont dirigées par des restaurateurs de moins de 40 ans. Même si le guide se défend d’« un geste à l’attention de cette génération montante », il lui reconnaît « un talent affirmé, qui s’exerce aux côtés d’équipes mixtes, passionnées, ambassadrices de leurs territoires et d’un monde agricole dont elles magnifient les produits », a commenté Gwendal Poullennec. Un état d’esprit qui ne peut que nous laisser espérer une place plus importante accordée aux femmes à l’avenir.


Auvergne-Rhône-Alpes : Rémi Laroque, L'Impulsif (Châtel-Guyon) ; Vincent Deforce, Le Cin5 - Au Cœur du Village (La Clusaz) ; Jean-Rémi Caillon, Alpage (Courchevel) ; Benoit Goulard, Mont Blanc Restaurant & Goûter (Hauteluce) ; Benjamin Breton, L'Auberge de Lucinges (Lucinges) ; Nicolas Guilloton, L'Atelier des Augustins (Lyon) ; Matthieu Girardon, Burgundy by Matthieu (Lyon) ; Jérôme Busset, AinTimiste (Poncin) ; Yoan Delorme, Le Chamarlenc (Le Puy-en-Velay)


Bourgogne-Franche-Comté : Francesco Di Marzio, Maison Rosella par Francesco Di Marzio (Port-Lesney)


Bretagne : Julien Corderoch, Louise (Lorient) ; Jérôme Gourmelen, Ar Men Du (Névez)


Centre-Val de Loire : Kevin Gardien, Auberge du 12e Siècle (Saché)


Corse : Romain Masset, La Verrière (Olmeto)


Grand Est : Benoît Potdevin, Le K (Montenach)


Hauts-de-France : Camille Delcroix, Bacôve (Saint-Omer), désigné Tremplin Le Chef 2022 ; Nicolas Gautier, Auberge de la Grive (Trosly-Loire)


Île-de-France : Eugénie Béziat, Espadon ; Matan Zaken, Nhome ; William Bequin, Le Tout-Paris ; Tomoyuki Yoshinaga, Sushi Yoshinaga ; Manon Fleury, Datil ; Flavio Lucarini, Hémicycle ; Thomas Danigo, Galanga ; Arthur Dubois, Maison Dubois ; Thierry Marx, Onor ; Maxime Bouttier, Géosmine, désigné Tremplin Le Chef 2023 ; Yuichiro Akiyoshi, Chakaiseki Akiyoshi ; Shinichi Sato, Blanc (tous à Paris) ; Nicolas Tissier, La Vieille Auberge (Villeneuve-le-Comte)


Nouvelle-Aquitaine : Oscar Garcia, Cueillette (Altillac) ; Adeline Lesage et Marc-Antoine Lepage, Nacre (Arès) ; Nick Honeyman, Le Petit Léon (Saint-Léon-sur-Vézère)


Occitanie : Julien Montassié, La Coopérative - Domaine Riberach (Bélesta) ; Fabien Lefebvre, Calice (Béziers) ; Julien Martin, Château de Collias (Collias) ; Émilie et Thomas Roussey, Émilie & Thomas - Moulin de Cambelong (Conques-en-Rouergue) ; Théo Fernandez, Auberge de la Forge (Lavalette) ; Hervé Busset, Restaurant Hervé Busset (Rodez) ; Matthieu Hervé, Le Cèdre de Montcaud (Sabran) ; Frédéric Bacquié, L'Almandin (Saint-Cyprien) ; Sébastien Rath, Le Saint Hilaire (Saint-Hilaire-de-Brethmas) ; Guillaume Momboisse, SEPT (Toulouse) ; Christophe Chiavola, Le Prieuré (Villeneuve-lès-Avignon)


Provence-Alpes-Côte d’Azur : Mathias Dandine, La Bastide Bourrelly - Mathias Dandine (Calas-Cabriès) ; Guillaume Goupil, Le Champ des Lunes (Lauris) ; Bessem Ben Abdallah, Bessem (Mandelieu-la-Napoule), Tremplin Le Chef 2017 ; Louis Gachet, Le Feuillée - Le Couvent des Minimes (Mane) ; Florencia Montes et Lorenzo Ragni, ONICE (Nice) ; Bruno Cirino, Racines - Bruno Cirino (Nice) ; Marc Fontanne, La Table de l'Orangerie - Château de Fonscolombe (Le Puy-Sainte-Réparade) ; Augustin de Margerie, La Terrasse - Cheval Blanc St-Tropez (Saint-Tropez).


 


 


Alan Taudon,
L’Orangerie** (Four Seasons Hotel
George V) – Paris (75)


Vous attendiez-vous à cette récompense ?
On ne s’attend jamais à la récompense, même si on travaille tous pour, pour la réussite de notre équipe et la satisfaction de


©Anne Emmanuelle Thion


nos clients.


Que récompense cette 2e étoile selon vous ?
Elle récompense le travail d’une équipe – dont je suis très fier –, mais aussi nos producteurs et tous les sacrifices, notamment familiaux, qu’on doit faire pour en arriver là. Elle récompense une certaine maturité et un aboutissement en tant que personne.


Qu’avez-vous ressenti au moment où votre nom a retenti ?
Cela a été une explosion de joie intense. Pendant 3 secondes, vous êtes sourd, vous regardez l’écran pour vous assurer que c’est bien votre nom qui est affiché. Quand vous voyez vos amis qui se réjouissent pour vous, c’est incroyable. C’est une énorme poussée d’adrénaline.


Que change cette 2e étoile ?
C’est une vraie question ! Je ne sais pas ! Je me suis demandé si ma cuisine devait être différente, mais je ne crois pas. Il faut continuer à essayer d’être meilleur et à faire la cuisine pour laquelle on a été récompensé. Je garde en mémoire cette phrase de Christian Le Squer, qui m’a dit : « Considère toujours tes clients comme des inspecteurs du guide Michelin. »


 


 


Nick Honeyman,
Le Petit Léon* – Saint-Léon-sur-Vézère (24)


Qu'avez-vous ressenti à l'appel de votre nom ?


©Emilie Soler


Nick Honeyman : C'était un peu flou, j'ai vu mon nom, je ne pense pas avoir entendu quoi que ce soit et je me suis instinctivement levé, j'ai pris Sina dans mes bras. Dès que j'ai commencé à descendre les marches, j'ai senti les larmes monter. C’était une explosion d'émotions.


Vous attendiez-vous à cette étoile ?
N.H. : Tous les chefs ont une double personnalité lorsqu'il s'agit de recevoir des éloges. D'un côté, il faut croire qu'on le mérite et s'attendre à ce que les récompenses arrivent un jour. C'est ce qui nous pousse à aller de l'avant et à rester motivés. Mais d'un autre côté, on doute de soi et on ne s'attend jamais vraiment à une telle réussite. C'est un yo-yo d'émotions.


 


 


Eugénie Béziat,
Espadon (Ritz Paris) – Paris (75)


Qu'avez-vous ressenti à l'appel de votre nom ?


© Studio PAM


Eugénie Béziat : J’étais super contente ! C’est une grande joie et une grande émotion.


Vous attendiez-vous à cette étoile ?
E.B. : J’y pensais évidemment. C’est formidable et exceptionnel qu’après six mois d’ouverture, le guide Michelin m’accorde à nouveau sa confiance. C’est un gros travail car cela fait deux ans que je travaille sur le projet. En coulisse, cela a été intense, avec une création de restaurant de A à Z.


En quelques jours seulement, cela a-t-il déjà fait une différence ?
E.B. : Oui, bien sûr. L’accueil de cette étoile est incroyable. On est heureux de voir les gens heureux pour nous : les clients, la profession. Cela me touche.


Comment envisagez-vous la suite ?
E.B. : Je me concentre sur le présent. Ce que je fais me passionne et c’est ce qui me fait me lever le matin. Au retour de la cérémonie, je me suis immédiatement remise au travail. Je vis pour cela. Je veux stabiliser l’étoile pour la conserver, être à la hauteur de cette récompense et aller toujours plus loin, en continuant à me remettre en question.


 


 


Les autres prix


En parallèle des étoiles, le guide Michelin poursuit sa stratégie de diversification des récompenses, en remettant notamment des Étoiles vertes à 9 établissements pour valoriser leur engagement écologique et des prix Passion Dessert aux pâtissiers.


Étoiles vertes
Les Jardiniers (Ligré) ; La Cour de Rémi (Bermicourt) ; Bellefeuille - Saint James Paris (Paris) ; Domaine du Châtelard (Dirac) ; L'Art de Vivre (Narbonne) ; La Galinette (Perpignan) ; En Pleine Nature (Quint-Fonsegrives) ; Le Saint Hilaire


© Michelin


(Saint-Hilaire-de-Brethmas) ; La Bastide de Moustiers (Moustiers-Sainte-Marie).


Passion Dessert
La sélection Passion Dessert, réalisée par les inspectrices et inspecteurs du guide et soutenue par Valrhona, a intégré cette année 8 nouveaux établissements : Hémicycle à Paris ; Aux Ambassadeurs by Christophe Cussac à Monaco ; Mont Blanc Restaurant & Goûter à Hauteluce ; La Table du Castellet au Castellet ; Le Pré Catelan à Paris ; l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern ; Ceto à Roquebrune-Cap-Martin ; Le Cap à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Ces arrivées portent à 58 le nombre total d’établissements distingués pour porter la partition sucrée au plus haut niveau.


Prix spéciaux
4 prix viennent récompenser, non pas des établissements, mais des professionnels considérés comme exceptionnels par le guide :
- le prix Michelin du Service à Sandrine Deley-Favario (L’Auberge de Montmin à Talloires-Montmin) et à Serge Schaal (La Fourchette des Ducs à Obernai) ;
- le prix Michelin de la Sommellerie à Xavier Thuizat (L’Écrin à Paris) et à Magali Delalex (La Table de l’Ours à Val-d’Isère) ;
- le prix Michelin du Jeune Chef à Théo Fernandez (L’Auberge de la Forge à Lavalette) ;
- le prix Michelin du Chef Mentor à Yannick Alléno.


 


» Adeline Glibota,
avec Morgane Buland et Manon Grimal


 


 


Étude : le positionnement des restaurants étoilés au Guide Michelin


L’Observatoire d’Api & You, agence conseil, communication et e-commerce, a mené en 2023 une étude nationale sur un panel de 630 établissements distingués au Guide Michelin. Elle nous éclaire sur les expériences proposées aux consommateurs par les restaurants étoilés français.



 


 


Interview Gwendal Poullennec,
directeur international des guides Michelin
« Les étoiles se méritent, elles ne s’héritent pas »


Avec 52 nouveaux 1-étoile, peut-on parler de millésime record ?
Gwendal Poullennec : En effet, c’est un très beau millésime, à la fois en volume et en qualité. Ce qui est remarquable, c’est que 23 des nouveaux 1-étoile sont des ouvertures dans l’année écoulée : il y a donc des projets, de l’entrepreneuriat, de l’ambition, de l’envie et des gens qui prennent des risques, tout cela conjugué à du talent culinaire. Sur les 62 nouveaux étoilés au total, la moitié a moins de 40 ans. On peut donc parler d’une scène culinaire française dynamique, avec de plus en plus de diversité de cuisines, de personnalités culinaires qui s’expriment dans l’assiette. C’est très encourageant pour


© A. Luzin


l’avenir.


Vous avez à plusieurs reprises maintenu ou attribué à nouveau 3 étoiles à un établissement après le départ du chef en place au moment de l’obtention, comme au Clos des Sens ou cette année au Castellet : quelles leçons en tirer ?
G.P. : La seule chose que nous évaluons est la qualité de la table, qui dépend du travail d’une équipe. Le départ du chef peut évidemment impacter cette qualité, selon la façon dont a eu lieu la transition. Dans le cas de Fabien Ferré, cela faisait 10 ans qu’il travaillait avec Christophe Bacquié, qui l’a laissé prendre son envol et a assuré une transmission. Il y a eu une période de fermeture et à la réouverture, ce n’était pas la même table. On y a trouvé la signature d’un chef qui a ses propres recettes, ses propres inspirations et c’est cette expérience qui a été évaluée et qui vaut 3 étoiles. Il n’y a pas de transfert d’étoile. Les étoiles se méritent et ne s’héritent pas.


On remarque une certaine polarisation des étoiles, avec des régions « fortes », comme l’Île-de-France ou la Provence-Alpes-Côte d’Azur, et d’autres moins bien dotées. Quelle est votre analyse ?
G.P. : Nous n’avons pas de quotas : nous reflétons la qualité là où elle est, et elle peut s’expliquer de nombreuses façons. Il y a parfois, dans une région, une histoire, une tradition, une clientèle, le tourisme et donc un hub culinaire – et force est de constater qu’il y en a de plus en plus en France. Étant breton, je n’ai pu que constater qu’il y avait très peu de tables distinguées par le guide en Bretagne. Cette année, sur 56 Bib Gourmands, 10 se situent en Bretagne. Cela montre qu’il y a du talent et des projets. Mais il faut une clientèle, une demande qui vont créer des effets d’entraînement, et une filière de qualité. Il y a clairement des effets destinations, plus vous avez d’offres, plus vous créez de la demande.


Revenons sur les liens entre Étoiles « rouges » et Étoile verte. Envisagez-vous de faire évoluer les critères pour intégrer la dimension durable ?
G.P. : L’étoile concerne la qualité de l’expérience de table, quand l’Étoile verte permet de mettre en avant ceux qui sont les plus engagés par rapport à la durabilité dans la gastronomie. Nous avons voulu garder ces deux critères distincts… Il ne faut pas oublier que les contraintes des lieux ne sont pas toujours les mêmes : en France, nous avons la chance d’avoir un pays tempéré avec quatre saisons, la montagne, la mer ou des champs, mais ce n’est pas le cas partout. Si vous êtes à Dubaï, vous aurez du mal à trouver des produits locaux, mais vous pouvez avoir d’excellentes expériences culinaires. Nous sommes là pour laisser aux chefs leur créativité. Ils doivent être capables de proposer leur cuisine, avec les moyens qu’ils ont envie de mobiliser. Notre approche est celle de la promotion : nous ne pouvons pas influencer la cuisine des chefs, mais nous voulons la reconnaître. Une étoile caractérise une table et constitue une indication pour les lecteurs, les voyageurs et les gastronomes.


Lors de la cérémonie, vous avez posé la question de la place des femmes dans la restauration à travers un film. Quelle était votre intention ?
G.P. : Le constat est clair : il n’y a pas assez de femmes à des postes à responsabilité en cuisine. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y pas de femmes en restauration : il y en a de plus en plus dans les cursus culinaires, dans les métiers du service et dans les brigades. Notre rôle est de les encourager, de créer des vocations, de les mettre en lumière quand elles ont du talent.


À qui est destiné ce message : aux établissements qui ne promeuvent pas assez les femmes ?
G.P. : Il peut être interprété de différentes façons. Il est important de mettre les femmes en lumière, qu’elles deviennent des « role models », une source d’inspiration, avec un effet d’entraînement. Ce film est un encouragement aux cheffes, pour qu’elles rejoignent cette profession, et aux établissements pour faire en sorte de favoriser cette émergence, notamment à travers des conditions de travail qui peuvent faire la différence.