Quand elle fonde Le Reflet, le premier restaurant inclusif de France, Flore Lelièvre observe que seules 600 des 65 000 personnes porteuses de trisomie 21 travaillent, soit 1%. Elle ouvre un établissement à Nantes en 2016 et un autre à Paris en 2019. En 2020, elle fonde Les Brigades extraordinaires. Le collectif réunit aujourd’hui 28 restaurants inclusifs et emploie 160 personnes. “Chaque semaine, une personne nous contacte pour ouvrir un établissement”, indique Flore Lelièvre. “Les restaurants inclusifs ont beaucoup de visibilité, c’est une des rares possibilités de travailler pour les personnes en situation de handicap.”
À l’occasion de la Journée internationale du handicap le 3 décembre, des échanges ont animé les salons de l’hôtel Lutetia Mandarin Oriental, à Paris. Nadia Maazouzi, fondatrice de l'agence Dclick, organisait la deuxième édition d’un événement consacré à l’inclusion des travailleurs en situation de handicap, en partenariat avec Flore Lelièvre (Les Extraordinaires), et Bacta Lavau (Oriane Île-de-France).
Trouver des talents
Les obstacles sont nombreux dans la restauration. “Ce n’est pas évident avec les fauteuils roulants : il faudrait des plans de travail très bas et des grands passages dans la cuisine”, imagine Glenn Viel, chef de l’Oustau de Baumanière*** et parrain de la journée. Par ailleurs, 34% des salariés disent qu’ils auraient peur de travailler avec un collègue handicapé psychique. “Les entreprises ne sont pas malveillantes mais elles sont démunies face au handicap, pointe Caroline Dekerle, directrice générale de l’Agefiph. Une fois qu’elles ont démystifié le handicap, elles trouvent des talents et pourvoient des postes où elles galéraient à recruter. De plus, s'engager sur le handicap permet de recruter des jeunes qui portent ces valeurs d’inclusion.” Le sociologue Thierry Calvat a réalisé une étude en 2022. Conclusion : “employer des travailleurs en situation de handicap a une influence plus positive sur l'activité et sur la performance de l’entreprise que de ne pas en employer”.
“Le secteur de la restauration est en crise mais nos établissements enregistrent une croissance de chiffre d’affaires moyenne de 20% par an”, expose Flore Lelièvre. Néanmoins, le modèle économique des restaurants inclusifs reste fragile. La fondatrice du Reflet signale que seule la moitié des 28 établissements des Brigades extraordinaires est à l'équilibre. Un équilibre précaire. La main-d'œuvre pèse et représente 70% du chiffre d’affaires de ces restaurants. Au Reflet, trois managers encadrent sept employés en situation de handicap mental ou cognitif. Les salariés sont à temps partiel, sans coupure.
CFA inclusif
“On n’a pas envie que les gens viennent dans nos restaurants pour faire une bonne action, fait remarquer Flore Lelièvre. Pour continuer à se déployer, on a besoin d’une reconnaissance institutionnelle pour accéder à des dispositifs d’aide.” L’entrepreneuse demande le doublement de l'aide versée par l’Agefiph (actuellement à hauteur de 11 000 euros par temps plein par an) et la possibilité de reverser aux restaurants les dons envoyés au fonds de dotation Les Extraordinaires.
La formation doit elle aussi évoluer. À Écully (69), l’institut Lyfe (anciennement Paul Bocuse) mène un partenariat avec le campus Louis-Braille pour une formation vers l’hôtellerie-restauration. L’École de Paris des métiers de la table (EPMT) a mis en place une passerelle handicap. Parmi ses 1 104 inscrits en 2024-2025, l’EPMT comptait 8% d’élèves en situation de handicap, le double par rapport à 2019. Directeur général depuis 2016, Ismaël Menault assure que 70 à 80% de ces élèves passent en apprentissage. “Les handicaps psychiques s’intègrent bien dans la restauration collective”, garantit-il, citant les employeurs Elior, Sodexo, Compass, Groupe Bertrand et Biscornu. À Saint-Nazaire (44), L’Académie de L’Envolée a ouvert un CFA inclusif en octobre. Elle propose trois parcours : commis de cuisine, serveur et employé polyvalent de restauration. 20 apprentis seront formés en septembre prochain. “On cherche 10 à 12 employeurs”, fait savoir la cofondatrice Angelina Orsini. “On a le savoir-faire mais on ne peut pas embaucher tout le monde donc il faut que les employeurs s’ouvrent.” D’ici six mois, L’Envolée souhaite aussi dispenser des formations reconnues aux entreprises.
T.L.B.
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