
Peu de chefs savent répondre à la question : quel est votre type de cuisine ? Vue de loin, cette question semble anodine, et même basique. Elle est redoutable, un véritable piège pour les chefs qui n’y ont jamais songé ou s’évadent par une banalité du type : c’est une cuisine de saison, ou une cuisine du jour.
Il est vrai que les meilleurs cuisiniers ne sont pas ceux qui parlent mais ceux qui agissent et les chefs ne sont pas des critiques gastronomiques.
Mais le geste n’est pas le fruit d’un réflexe spontané. Le geste de l’artisan ou de l’artiste est un geste pensé. Tout ne peut se réduire en la répétition de ce qui a été vu chez d’autres. Même si un chef n’innove que peu et qu’il reproduit un savoir-faire créé au fil des années et des siècles, il choisit lui-même ce qu’il va reproduire dans le vaste fonds culturel qu’il a à sa disposition grâce à l’apprentissage, les livres, les magazines et les rencontres professionnelles.
La question si redoutée «quel est votre type de cuisine ?» oblige le chef à réfléchir sur ses choix. On peut objecter que ces choix sont émiettés dans le temps
Toute pratique peut se vivre au fil de l’eau. On peut travailler quarante ans sans réfléchir à ce que l’on a fait. Mais dans un monde de passion (et la plupart des chefs se déclarent être passionnés) comme celui de la cuisine gastronomique, petite ou grande, il est étonnant que la réflexion n’ait pas sa place. Penser sa cuisine, c’est y trouver des cohérences, des éléments de rassemblement, des similitudes.
Créer une carte crée l’opportunité de trouver ces cohérences, ces fils directeurs qui donneront une architecture à la cuisine.
Même jeune, même dans un restaurant à la décoration modeste, même avec un ticket moyen limité, le chef se doit de faire des retours sur lui-même, sur sa pratique, pour savoir ce qu’il va proposer à son client.
C’est en sachant qui il est et ce qu’il fait qu’il construira une image de lui-même et de sa pratique afin d’être mieux compris et apprécié.