
Le samedi 14 mars 2020, le Premier Ministre annonça l’obligation de fermer le jour même, dès minuit et “jusqu’à nouvel ordre”, tous les “lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays”, cette mesure étant motivée par la propagation rapide de la pandémie de coronavirus, en France.
Etaient ainsi touchés de plein fouet – et sans aucun préavis -la totalité des commerces de restauration, de brasserie, de café, bar, discothèque etc… Pour autant, les frais fixes, dont les abonnements et les loyers, ont continué de peser sur la trésorerie, et sur la rentabilité des exploitations.
Par une loi du 23 mars 2020, le Gouvernement a été habilité à prendre toute mesure « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers ».
L’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 prévoit que les locataires éligibles aux critères pour bénéficier du fonds de solidarité ne pourront « encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions », à raison d’impayés sur la période courant du 12 mars au 25 juillet 2020, sauf prorogation de la date de fin de l’état d’urgence sanitaire.
Cette législation particulière ne solutionne en rien le problème évoqué plus haut, et incite à rechercher quelles conséquences pourraient s’attacher à l’application du droit commun des contrats, quant à l’obligation de payer .
Dès lors, les conditions de la force majeure sont-elles réunies pour exonérer les entreprises précitées du paiement de leurs loyers, et à défaut, que peuvent espérer les locataires pour faciliter la reprise d’activité qui commence.
Une ordonnance de référé, rendue d’heure à heure le 20 mai 2020 par le Président du tribunal de commerce de PARIS en matière de distribution d’énergie, retient la force majeure pour imposer à EDF tous les effets d’une clause de force majeure permettant de suspendre les effets du contrat, lequel prévoit qu’il doit s’exécuter dans des “conditions économiques raisonnables”.
Cette décision pourrait être transposable à d’autres situations contractuelles similaires, et chacun prendra soin d’examiner la clause de force majeure éventuellement insérée dans son contrat de bail.
L’intérêt de cette décision réside d’abord dans le fait que le juge des référés a retenu sa compétence, et estimé que la pandémie Covid-19 était constitutive d’un cas de force majeure, au sens légal du terme.
En effet, les conditions de la force majeure sont bien réunies : événement extérieur, imprévisible et irrésistible, empêchant l’exécution de leurs obligations par les parties.
Transposée au cas de baux commerciaux, il est indéniable que la pandémie est un événement extérieur aux parties, imprévisible lors de la conclusion du bail, et irrésistible. Quant à l’exécution des obligations contractuelles, il est tout aussi clair qu’un bail commercial est conclu pour permettre une exploitation par le preneur, qui s’y oblige, moyennant paiement du loyer. Or, confrontés à l’obligation de fermer, le bailleur ne loue plus un local où le preneur peut exploiter son fonds de commerce.
Pour ceux qui auront fermé totalement leur établissement sans y adjoindre d’activité annexe (comme la vente à emporter), le local loué sera devenu sans aucune utilité économique et commerciale.
Cependant, il faut ne pas perdre de vue que la jurisprudence a généralement une conception très restrictive de la force majeure, et qu’en cette matière la plus grande prudence reste de mise, et nécessite une étude au cas par cas.
Aussi, serait-on plus enclin à fonder un refus de paiement de loyers, dans les circonstances évoquées ici, sur les dispositions de l’article 1722 du Code civil prévoyant que : « Si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »
Ce texte s’applique aussi si le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de la chose, ou d’en faire un usage conforme à sa destination, par cas fortuit.
Aussi, est-il parfaitement envisageable de négocier avec le bailleur, ou d’obtenir judiciairement une réduction, voire une annulation des loyers courus pendant la période de fermeture imposée par la pandémie.
En toute hypothèse, il est recommandable de préparer un dossier démontrant l’absence de chiffre d’affaires permettant à l’entreprise de faire face à ses obligations locatives, et d’en informer très clairement le bailleur.
Pierre Reynaud – Avocat au Barreau de Paris