
Après le choc de l’annonce, comment organisez-vous votre quotidien ?
Après l’annonce de la fermeture des établissements, j’ai décidé de ralentir. Je suis quelqu’un qui aime prévoir avant de se déconnecter, là ce n’était pas prévu ça a été un réel choc. Avec les 15 jours de fermeture annoncés au départ, on a voulu s’adapter mais très vite on a compris que ça durerait. Je n’ai pas souhaité faire comme mes collègues et rester très actif (recettes sur internet, lives sur les réseaux sociaux), j’ai préféré me reposer. J’ai profité de ce temps pour être en famille, profiter de ma maison, faire du sport, renouer avec mes enfants qu’il était difficile de voir avec mon travail. Je me suis ressourcé pendant deux mois.
Qu’avez-vous mis en place pour vos maisons (chômage/prêt/report) ?
Je n’ai pas été le seul à être impacté violemment, tous mes collaborateurs ont souffert. J’ai tout de suite voulu les rassurer et notre propriétaire nous a grandement aidés. En plus du chômage partiel, il a payé la différence. Certains de nos collaborateurs ont fait du télétravail. Nous nous sommes également préparés à la réouverture.
De mi-avril à début mai, on a mis en place la préparation des protocoles sanitaires afin d’accueillir à nouveau notre personnel et nos clients (sens de circulation, distance de sécurité, heure d’arrivée…). Avec la réouverture de l’hôtel le 5 mai dernier, nous avons voulu faire ce que nous n’avions jamais fait avec mon équipe et mettre en place la vente à emporter. Cela s’est fait dans l’inconnu et ce fut très intéressant, c’est un tout autre métier, une toute autre organisation. Fermer brutalement pour réouvrir deux mois plus tard ce n’est pas si facile, cela nous a pris 10 jours avant de reprendre le rythme, c’est un réel travail. À titre d’exemple, pour 80 commandes à la journée, il faut 2h pour tout empaqueter. Je reste reconnaissant car cela a permis de remettre une partie de mes équipes en route. Au bout de 20 jours de réouverture c’est un plaisir de reprendre le rythme et de racheter de beaux et bons produits pour nos clients.
Envisagez-vous de modifier l’offre de vos restaurants ?
C’est un nouveau départ, j’ai ouvert mon établissement en 2015 et aujourd’hui j’ai l’impression de le réouvrir, avec une nouvelle donne seulement. Ce temps de réflexion m’a permis d’apporter des modifications sur l’identité personnelle du restaurant gastronomique Le Gabriel. Je me suis demandé « qu’est-ce qui me manque aujourd’hui pour être en plénitude avec ce lieu et avec ce que je propose dans l’assiette ? ». J’ai travaillé sur une nouvelle offre pour la rentrée. Ce temps m’a permis d’articuler ce que je souhaitais pour l’établissement, à ma façon, avec ce qui me ressemble le plus. J’avais déjà certaines idées mais pour faire des changements radicaux dans des grandes maisons, parfois des contextes radicaux sont nécessaires. Je vais pouvoir raconter mon histoire.
Comment envisagez-vous la reprise ?
Nous avons la chance d’avoir déjà des clients, une grande partie de la cuisine est présente et je fais une rotation du personnel pour que tout le monde revienne progressivement. Ils ont tous envie de reprendre, nous les avons rassurés sur ce que nous leur proposons comme conditions sanitaires, de l’arrivée au fonctionnement de travail. Je suis chanceux avec mes collaborateurs, ils sont excités à l’idée de redémarrer, de faire ce qu’ils aiment faire. L’état d’esprit est bon. En ce qui concerne nos clients, on a tous prévu : les tables sont à distance, le sens de circulation est installé, le gel hydroalcoolique est à disposition partout, on demande de mettre le masque, le lavage des mains fréquent est requis.
Anecdote / tribune libre
J’ai observé tous mes confrères aller sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé leurs initiatives divertissantes, enrichissantes et impressionnantes pour certains. C’était nécessaire et bienvenu. En revanche, je n’ai pas souhaité embrayer le pas, je suis davantage pudique. J’ai vraiment été affecté par la fermeture, je ne me suis pas senti prêt à faire des vidéos. J’aurais trouvé ça mal venu de ne pas proposer un contenu qui n’était pas en adéquation avec moi-même. Maintenant que je suis dans ma cuisine, je pourrais faire des vidéos, je suis de nouveau dans mon élément de travail !
Même si cette période nous a fait réévaluer notre quotidien, elle n’en est pas restée moins difficile. J’avance bien plus depuis ces 20 jours dans ma cuisine et dans mon hôtel que chez moi. On revient progressivement à la vie, c’est rassurant, les Français ont besoin de retrouver la direction des restaurants, la convivialité. C’est à nous aujourd’hui de les sécuriser et rassurer.