
Après le choc de l’annonce, comment organisez-vous votre quotidien ?
Alexandre Couillon : Lorsque le couperet est tombé, il a fallu réaliser ce qui nous arrivait. Nous avons repris cette maison en 1999 et avons beaucoup travaillé pour arriver là où nous en sommes. Le carnet de réservations était complet jusqu’en octobre et nous avons d’abord dû contacter nos clients pour annuler leur venue. Dans un second temps, nous avons pris des nouvelles de notre entourage et de nos coéquipiers. Lors d’une troisième phase, j’ai eu une très grande pensée pour des pays frappés par la guerre et la pauvreté. Né à Dakar, j’y suis retourné à Noël et n’ai pu que constater la misère. Comment ces gens-là vont-ils s’en sortir ?
Dès la mise en place du confinement, nous avons fait comme beaucoup, en rangeant et réaménageant notre maison, en passant du temps à peindre avec nos enfants. Tous les jours, j’allais en cuisine pour faire du nettoyage. J’ai aussi passé beaucoup de temps au jardin. Nous avons la chance de vivre dans un cadre magnifique, entre mer et verdure. Il y a quelques semaines, notre jardinière m’a cependant alerté : il fallait écouler notre stock de légumes. J’ai commencé à en donner et à cuisiner pour mon entourage et mes équipes. Puis, avec ma fille qui étudie en école hôtelière, nous avons rouvert les volets du bistrot pour proposer à nos voisins et aux clients qui le souhaitaient une formule complète à 20 €, conditionnée dans des emballages recyclables. Deux personnes de mon équipe sont venues nous aider. L’objectif n’est pas de gagner de l’argent mais de mettre en place un système autour du jardin, de donner du plaisir et de rythmer le quotidien. Petit à petit, l’initiative a fonctionné et les clients sont aujourd’hui nombreux à m’envoyer des photos de leurs plats joliment dressés. Tout le monde est très réceptif, c’est magique.
Qu’avez-vous mis en place pour vos maisons (chômage / prêt / report) ?
Nous avons activé la procédure de chômage partiel pour la vingtaine de nos collaborateurs. Les banques de notre région ont été très à l’écoute et nous ont permis de mettre en place les reports de charges et d’échéances. Le premier objectif a été de rassurer le personnel, en lui disant que nous ferions tout ce qu’il faut. J’ai travaillé en alternance au jardin avec notre jardinière, tandis que mon épouse Céline s’est occupée de toute la partie comptabilité. Les repas à emporter ont, eux, permis de relancer la criée située en face des restaurant, ou encore l’éleveur de volailles installé à 30 minutes de chez nous. Il y a un réel échange de solidarité et je pousse mes équipes à ouvrir les yeux sur tout cela.
Envisagez-vous de modifier l’offre de vos restaurants ?
Peut-être est-ce à nous, chefs, de repenser notre façon de travailler et de participer davantage au commerce de proximité. A La Table d’Elise, pourquoi ne pas installer des étagères avec des confitures, des bocaux, etc. ? Du côté du restaurant gastronomique en revanche, nous avions déjà conçu cet hiver un nouvel écrin, qui n’a quasiment pas pu fonctionner. Un soir, j’ai espacé les tables et me suis rendu compte que cela ne nous laissait plus que 10 couverts, au lieu des 20 que nous réalisons habituellement. Je trouve qu’il y a un surcroît d’information et de désinformation, pour l’heure nous ne savons pas vraiment où nous allons et j’ai peur de rouvrir pour finalement devoir fermer à nouveau dans quelques mois. Néanmoins, il est certain que nous devrons penser différemment. Grâce à notre configuration, nous pourrions imaginer servir les clients en terrasse. Demain, peut-être faudra-t-il aménager autrement nos entreprises, modifier les jours de fermeture. Il faut rester positif, garder espoir et trouver des solutions pour avancer.
Anecdote / Tribune libre
Je reste confiant dans l’avenir même si plusieurs choses sont encore troubles dans mon esprit. Du côté de l’hôtel, cela risque d’être assez compliqué. Mais c’est ainsi et nous devrons rebondir, nous adapter et travailler intelligemment, en protégeant nos proches, nos équipes, en conservant la chaîne des fournisseurs et en maintenant la solidarité entre chefs. Je pense qu’il va falloir se recentrer autour des vraies valeurs, de nos racines, et apprendre aux jeunes générations à faire de même. Durant le confinement, nous n’avons jamais vu autant de personnes cuisiner, faire leur pain, conserver des légumes, faire du sport, et moi le premier ! Nous n’avons rien inventé, c’était le quotidien de nos grands-parents. Peut-être faudra-t-il, à l’avenir, moins de matériel autour de nous et davantage et vie et de bon.