
Après le choc de l’annonce, comment organisez-vous votre quotidien ?
Adrien Descouls : Ouverts depuis à peine un an, nous avons obtenu une étoile au Guide Michelin en janvier mais n’avons pas pu en profiter. Alors que le cahier de réservations commençait à se remplir, nous avons été coupés mi-mars dans notre élan. Il a fallu prévenir nos clients : 70 % ont joué le jeu et reporté leurs réservations à fin mai. Mais aujourd’hui, face aux nombreuses incertitudes, tous m’appellent pour annuler. L’hôtel s’est également vidé et les clients nous réclament les arrhes. Nous avons misé sur les bons cadeaux pour tenter de nous en sortir. J’ai aussi dû me plonger dans toutes les démarches administratives et placer mes équipes en chômage partiel. Par honnêteté, j’ai continué de payer tout ce que je pouvais payer, alors même que nous nous étions déjà largement endettés pour ouvrir ce restaurant. Résultat : j’ai presque failli déposer le bilan et il a fallu s’asseoir autour d’une table pour discuter de l’avenir de notre entreprise.
Qu’avez-vous mis en place pour vos maisons (chômage, prêt, report) ?
Nous ne remplissons pas les conditions pour bénéficier du fonds de solidarité et avons le sentiment d’être laissés à l’abandon. Alors, nous nous sommes débrouillés comme nous le pouvions et nous sommes posés beaucoup de questions. Il était inenvisageable pour moi de fermer le restaurant ou même de le reformater en arrêtant la gastronomie. Nous avons finalement décidé de rendre la maison où nous étions en location et que nous nous apprêtions à acheter. Nous sommes retournés vivre chez nos parents, qui habitent à 45 minutes du restaurant et nous soutiennent dans l’épreuve. Entre temps, nous avons obtenu le Prêt garanti par l’Etat, qui a permis de sauver l’entreprise. Mais il sera très compliqué pour nous de le rembourser. Pendant les 6 prochains mois minimum, je sais que je ne pourrai pas me verser de salaire.
Envisagez-vous de modifier l’offre de vos restaurants ?
Je ne sais pas encore, j’attends d’avoir de la visibilité. Actuellement, il est impossible pour nous de proposer des plateaux repas ou de la livraison : notre restaurant est très excentré et je n’ai pas de camion frigorifique. Nous ne savons ni quand nous pourrons rouvrir, ni dans quelles conditions. Quelles règles d’hygiène devrons-nous appliquer ? Ceux qui ont de la trésorerie pourront fournir à leurs salariés des masques, du gel hydroalcoolique et installer des plexiglas. De mon côté, comment faire ? Vais-je devoir répercuter ces coûts sur les prix de mes menus ? Je tente déjà d’être le plus honnête possible en proposant des tarifs réalistes.
Anecdote – Tribune libre
Je ne veux surtout pas véhiculer un discours défaitiste. Aujourd’hui, nous sommes en très grande difficulté mais je souhaite faire savoir que nous nous battons, et je suis persuadé que c’est le cas pour beaucoup de chefs. A travers mes paroles, j’aimerais faire comprendre aux clients que la gastronomie est d’abord une préservation des savoir-faire français. J’ai l’impression qu’elle est parfois considérée comme un sujet tabou. Or, manger dans un restaurant gastronomique est pour moi un acte citoyen, qui contribue à préserver les savoir-faire, l’artisanat et toute une corporation de travailleurs. Pour nous sauver, il ne faudra pas juste revenir à la réouverture, mais durant les mois qui suivront.