
Fondé en France en 2014, le Parabere Forum est une organisation mondiale dont l’objectif est de promouvoir le talent et l’entrepreneuriat au féminin dans les métiers de la restauration. Elle compte à date quelque 6 000 membres. Par la voix de sa présidente, Maria Canabal, le collectif a tenu à adresser une tribune au président de la République, Emmanuel Macron, en cette période de crise sanitaire.
« Monsieur le Président de la République,
Pendant la période de confinement, j’ai reçu des centaines d’appels téléphoniques de femmes cheffes, de sommelières, du personnel de salle, de productrices, de baristas, de boulangères, de bartenders, d’anthropologues et de chercheuses, de toute la France.
Au cours des deux dernières semaines, ces appels sont devenus plus désespérés, les voix plus angoissées. Ce sont des femmes sans argent à la banque, certaines sans nourriture au réfrigérateur, et pourtant, ces femmes sont l’épine dorsale de notre culture culinaire.
Bien sûr, je n’ai nul besoin d’expliquer aux Français, encore moins à vous monsieur le Président, l’importance du café, du bistrot, d’un verre de vin, d’un repas partagé, de la convivialité de notre culture. Ces rituels ne nous ont pas simplement apporté de la joie, ils nous ont aussi en partie définis.
La restauration a besoin de votre aide, mais la situation est plus complexe que ça.
Si la restauration est, en France, la filière la plus affectée par la pandémie, les femmes sont touchées de manière disproportionnée par les problèmes qui affectent le secteur dans son ensemble.
Les 300 000 restaurants, bars et cafés recensés en France sont exploités aux trois-quarts par des indépendants et à 90 % par des TPE, vers lesquelles s’oriente une très large majorité de femmes.
Loin du glamour, de la reconnaissance médiatique et de la starisation de leurs collègues masculins, ces entrepreneures sont restées dans leurs cuisines pendant leurs grossesses, pendant l’éducation de leurs enfants, pendant leurs divorces, les incendies et les inondations.
La gastronomie est le métier qui montre la plus grande différence salariale liée au genre, ainsi que le plus grand nombre de plaintes pour harcèlement sexuel. Avec de la persévérance, du sacrifice, du talent et une grande passion, les femmes deviennent entrepreneures dans des métiers où l’on ne compte ni les heures ni les jours. Et là encore, les difficultés continuent. La perception générale est que l’homme est plus flexible et n’aura pas à gérer une famille en plus d’un métier qui le sollicitera au-delà du racontable. Résultat ? Les femmes reçoivent 2 fois plus de refus de prêts que les hommes pour créer leur entreprise. Si devenir entrepreneur c’est déjà une aventure en soi, dans nos métiers il faut aussi affronter l’hostilité. Pour maintenir à flot leurs entreprises, elles subissent des années de travail acharné avec en surplus la gestion de la famille et de la maison. Généralement, elles sont poussées par l’acte de nourrir, par un sens profond de l’humain, par le poétique et par l’amour – pas par l’argent ou la soif de multiplier leurs adresses. Elles travaillent souvent sept nuits par semaine pendant des années. En retour, elles comptent à peine sur ce dont elles ont besoin chaque semaine pour couvrir leurs dépenses. En retour, elles sont invisibles, alors que ce sont elles qui gèrent la majorité des restaurants indépendants et des belles opportunités qu’elles offrent aux circuits courts et locaux. En tant qu’exploitantes, elles ne partent pas en vacances, car elles ne dégagent pas un salaire lorsque leurs établissements sont fermés. En temps de pandémie, elles n’ont pas de ressources.
Le Parabere Forum soutient le talent au féminin et s’inscrit dans la grande cause nationale du quinquennat, l’égalité entre les femmes et les hommes.
La montée en puissance des femmes entrepreneures constitue, au même titre que l’innovation et l’internationalisation, un levier fort d’accélération pour la croissance de l’économie.
La précarité des entrepreneures est un sujet tabou. Mais aujourd’hui, après des années au fil du rasoir la situation est insoutenable pour elles.
Les entrepreneures dans les métiers de bouche sont le pouvoir silencieux. Mais, parfois, celles qui subissent se fatiguent de se taire.
Maria Canabal
Présidente Parabere Forum »