
Après le choc de l’annonce, comment organisez-vous votre quotidien ?
William Frachot : J’avais anticipé la situation au vu de l’effondrement des réservations pour le mois d’avril. Les équipes ont été placées en chômage partiel et j’ai mobilisé tous les moyens possibles pour conserver la trésorerie (prêts, reports…). Pour ma part, le choc est plutôt arrivé ces derniers jours, en constatant l’étendue du désastre humain, social, économique et mondial. Nous ne savons pas quelle sera l’issue de la crise dans le temps : fin du confinement, reprise du travail, traitement ou évolution du virus…
Dans un premier temps, j’ai pris ce qui nous arrivait comme une bénédiction au bout de 20 années de bons et loyaux services. Je n’ai plus ces problèmes récurrents de pression, je peux me reposer et surtout profiter enfin de ma fille qui vient d’avoir 20 ans et que je n’ai pas vu grandir. Je cuisine beaucoup et suis enfin revenu à une de mes passions : le pain. Cela m’a fait l’effet d’une révélation et je suis certain que les choses vont changer dès la rentrée.
J’ai également organisé une opération de petit-déjeuner pour le CHU de Dijon, en offrant toutes les viennoiseries de l’hôtel que je ne pouvais pas conserver. Cela découlait d’une envie simple, citoyenne et discrète, d’apporter quelque chose à nos personnels hospitaliers.
J’ai aussi mis en place avec la Fédération des commerçants dijonnais une offre de paniers pour soutenir nos maraîchers, éleveurs et producteurs. Les clients peuvent se rendre sur le portail internet de « Shop in Dijon », sélectionner leurs produits, régler en ligne et venir récupérer leur commande chaque dimanche, dans le respect des mesures sanitaires imposées. Nous en profitons pour leur donner des conseils techniques de préparation. Tous les chefs qui le souhaitent peuvent prendre part à cette initiative pour valoriser leurs producteurs. Cela commence à prendre de l’ampleur et l’objectif est de poser les bases d’une future association de chefs soudés de la région, qui fonctionnera en parallèle de Shop in Dijon. Cette situation inédite nous permet de revenir à des notions humaines, en reliant les gens entre eux.
Envisagez-vous de modifier l’offre de vos restaurants ?
Je n’exclus rien mais je viens de comprendre une chose : il faut cesser de trop réfléchir en ce moment en élaborant de multiples scénarios. C’est beaucoup trop tôt. Je pense qu’il faut juste tenter de s’apaiser et écouter la nature se régénérer après plus d’un mois de confinement. Bien sûr, nous devrons revoir la copie et ne pourrons pas rouvrir avec une offre débordante si le flux de convives est faible. L’objectif sera d’accentuer la qualité et la démarche en faveur des produits locaux que nous avons mise en place depuis quelques années déjà.
Tribune libre
La situation est très compliquée et j’ai peur pour nous tous, chacun dans son domaine. Mais agir m’empêche de tomber dans le côté anxiogène et j’ai le sentiment que face à la crise, chacun se soutient pour s’en sortir. Néanmoins, je ne suis pas favorable à une réouverture rapide des établissements, comme certains le demandent. Ce serait prendre d’énormes risques selon moi, alors que l’économie est bouleversée, les frontières fermées et que l’on s’attend à une deuxième vague de contaminations. Si nous réouvrons, les clients se rueront peut-être chez nous durant une semaine ou deux, mais ensuite que se passera-t-il ? Bien sûr, je n’ai qu’un souhait : retourner en cuisine et redémarrer l’activité. Mais je préfère rester à l’arrêt avec des aides plutôt qu’ouvert sans client. Sinon, je cours à la faillite. J’ai évidemment de l’empathie pour les petits établissements mais je pense aussi qu’il faut rester patient. J’écouterai attentivement ce que décidera le gouvernement à notre sujet.