
Depuis les annonces du Gouvernement de fermer tous les bars et restaurants à partir du 14 mars 2020, les hôteliers et restaurateurs ne savent toujours pas quand ils pourront rouvrir leurs établissements.
Le 15 avril dernier, Jean Valfort le fondateur de Panorama Group exprimait son amour pour les restaurants dans une lettre ouverte :
« Comme dans toutes les histoires d’amour, c’est l’absence qui fait réaliser.
Pas de dîner à deux, ou à plus. Pas d’apéros entre copains. Pas de verres qui s’entrechoquent. Pas de serveur qui râle. Pas de chef qui gueule. Pas de musique. Pas de pizza à la truffe. Pas de magret de canard. Pas d’escargots de Bourgogne. Et pas de vin en carafe non plus. On ne peut pas aller au restaurant. Et ça nous manque déjà énormément.
Il nous faut des restaurants. C’est là où on se rencontre, où on rigole, où on célèbre. Une amitié, un anniversaire, un nouveau job ? Les restaurants sont ces compagnons qui, sans qu’on s’en aperçoive vraiment, ont accompagné les étapes de nos vies depuis très jeunes. Ils nous voient fêter les années qui passent, signer des contrats, nous retrouver, tomber amoureux. Toujours silencieux, ils sont pourtant là, à regarder, à accueillir, bienveillants et complices. Ils déçoivent parfois, mais ce n’est pas toujours de leur faute. C’est souvent parce qu’on les a mal éduqués.
On dit même que ce sont eux qui font voyager. Parce qu’ils connaissent le langage universel, ils nous ont fait découvrir les autres. On aime beaucoup qu’ils nous parlent français mais on n’est jamais contre de l’italien, du japonais ou du marocain. Parfois, ils se transforment en compagnons de route. Ils nous ouvrent les portes, toujours silencieusement, de ces pays qu’on ne connaît pas. Et, en créant les étapes, toutes plus excitantes les unes que les autres, de nos périples, en nous initiant aux saveurs, aux cuisines et aux odeurs d’ailleurs, ils nous rendent un peu moins aveugles. Souvenez-vous de votre dernier voyage. Il y a fort à parier que c’est à un restaurant que vous penserez en premier, parce qu’ils sont une formidable usine à souvenirs. Les restaurants ont ceci d’exceptionnel qu’ils ne sont jamais routiniers. Même lorsqu’on y va souvent, même lorsqu’on y a son rond de serviette, ils sont toujours étonnants. Ils savent, toujours, nous sortir de l’habitude et créer l’événement. Le train-train, ils ne connaissent pas. Et c’est d’ailleurs leur grande force. Ils sont le théâtre de journées qui ne ressemblent jamais à la précédente et nous emportent dans ce tourbillon qui brise l’ennui. Parce que c’est au restaurant qu’on rencontre les autres, ils ont ce pouvoir social qu’aucun autre endroit public n’a (à part peut-être un club, mais qui s’y entend parler ?). Ils nous font, sans qu’on le remarque, tisser ce lien auquel nous avons dû cruellement et subitement renoncer – pour la bonne cause – en découvrant ce qu’on appelle déjà distanciation sociale. Les restaurants, c’est une grande partie de la vie, et on commence un peu à s’en rendre compte. En ce qui me concerne, ils m’ont eu il y a de cela huit ans. Rien ne me destinait à en faire mon métier. Ils m’ont eu parce qu’au départ, je ne les aimais pas. Enfin si, j’aimais y aller. J’aimais ce sentiment qu’ils procuraient, celui qui décolle de la routine. Aller au restaurant, c’était un évènement ! Mais je ne les comprenais pas. Je n’avais pas saisi à quel point ils avaient pu accompagner les étapes de ma vie sans dire un mot. Et moi qui les toisais égoïstement… Depuis, j’ai appris à les connaître. Ils sont devenus comme un très bon ami avec lequel jamais on ne s’embête. En 8 ans, ils ne m’ont – que ce soit bon ou mauvais – jamais laissé seul. Ceux qui font le même métier que moi en riront sans doute, parce qu’ils savent que parfois, justement, un peu de tranquillité serait appréciée. Mais c’est sans doute parce qu’aucun d’entre nous n’avait depuis longtemps vécu ce qu’est l’ennui… C’est leur façon de faire. Les restaurants sont comme des enfants un peu collants, mais très attachants. Puisque j’ai la chance d’en avoir plusieurs, je sais aussi qu’ils ont tous leur personnalité. Certains sont calmes et sans embrouilles. D’autres sont impétueux et colériques. Il y a les sages, les danseuses, les pleurnicheurs, les compliqués… Parfois, ils s’améliorent avec l’âge. Parfois, ils ont la vieillesse difficile. Une chose est sûre, jamais ils ne nous laissent dormir tranquillement. Et ce sont ces huit ans, que j’aurais pu passer en banque ou en conseil, qui me font dire qu’il nous faut des restaurants. Il nous faut des restaurants parce que ce sont eux qui nous définissent en tant que peuple. Aux Américains les diners à 18h. Aux Espagnols ceux à 22. Aux Français le bistrot, aux Italiens la trattoria. Aux peuples de Méditerranée l’art du repas partagé. Aux Japonais celui du dîner caché. Il nous faut des restaurants parce que ce sont eux qui nous unissent. En étant devenus des lieux de partage, ils sont le dernier brin d’humanité des grandes villes. Il nous faut des restaurants parce qu’ils nous rappellent nos parents, ou nos grands-parents. Il nous faut des restaurants parce qu’ils ont le pouvoir de la saveur. Il nous faut des restaurants parce qu’on s’en rend compte aujourd’hui, ce qu’on aime par-dessus tout, c’est pouvoir sortir. Et se souvenir. Parce qu’on aime les weekends de Pâques à la Garoupe, les 25 décembre au Capoul, les dimanches soir chez Chartier et les petits-déjeuners chez Carette. Maintenant que le bon sens citoyen veut qu’on n’aille plus au restaurant, et maintenant qu’ils sont tous éteints, attendant avec impatience notre retour, sans trop comprendre ce qui leur arrive, on se rend compte qu’ils nous manquent énormément. A vous qui ne les comprenez pas encore tout à fait, mais qui ce soir encore, en ouvrant le frigo, vous êtes dits qu’aller diner au resto sur un coup de tête, c’était quand même un sacré moment, demandez-vous s’ils vous manquent aussi. Demandez-vous s’ils ne font pas aussi partie de votre histoire, de vos voyages, de votre mémoire. Demandez-vous pourquoi ce 14 mars, à 19h30, nous avons eu l’impression que la France s’arrêtait (alors qu’elle continue !). Demandez-vous ce qui donne cet air si triste à nos rues et nos passages. Demandez-vous où est passée la vie. Mon cher restaurant, tu nous manques énormément. On ne sait pas ce à quoi tu ressembleras demain, quand tu rouvriras tes portes. Il aura bien fallu ça pour sauver des vies, et c’est le prix que nous avons bien sûr accepté de payer. Maigre participation qui est la nôtre. Mais sache qu’on t’attend impatiemment. D’ailleurs, la question du lieu où nous fêterons la fin du confinement, ce monde absurde et froid tout droit sorti d’un livre de fiction, s’est déjà posée. Et, qu’il soit proche ou lointain, sans l’ombre d’une hésitation nous nous sommes entendus répondre : ce sera probablement… au restaurant ! »