
Ces sauces qui accompagnent le gibier pendant la saison de la chasse ont les rousseurs de l’automne et des effluves de sous-bois. Subtiles, elles ont pour vocation de mettre en valeur les mets qu’elles accompagnent, non de les dominer. C’est surtout le gibier à poil qui s’en pare, petit gibier (garenne, lièvre) ou venaison (biche, chevreuil, cerf, sanglier).
Les sauces apparurent dans l’Antiquité, à la fois pour diversifier le goût des mets mais aussi, sans doute, par précaution prophylactique à une époque où la conservation des aliments était précaire.
Dans notre culture héritée du monde gréco-romain, elles furent d’abord l’apanage des patriciens car les épices coûtaient trop cher pour le peuple. Le garum, sorte de nuoc-mam antique était la base de beaucoup d’entre elles, ainsi que le verjus

ou le vinaigre, là encore, probablement pour des raisons antiseptiques.
Filles des condiments antiques, elles connurent leur heure de gloire dans la cuisine »françoise » au Moyen-Âge où une nouvelle classe sociale était née : les bourgeois, commerçants prospères installés dans les bourgs (d’où leur nom) qui avaient désormais les moyens de s’offrir des épices comme à la Cour. Cependant, toujours très chères, l’usage était de les enfermer à clé dans des petits coffres ouvragés précieux. Ces sauces médiévales étaient pour la plupart piquantes ou aigre-douces, non pour faire office de cache-misère mais plutôt pour afficher son aisance financière, ce qui les rendait parfois exagérément sophistiquées.
Il fallut attendre Carême à l’aube du XIXe siècle pour qu’elles soient codifiées, puis Escoffier à la fin du même siècle et au début du XXe pour que la sauce trouve enfin son vrai rôle de faire-valoir qui consiste à rehausser le goût des aliments sans les trahir.
Les fonds, fondement des sauces mères classiques
Les professionnels classent les sauces en plusieurs familles. Parmi celles qui réclament une cuisson, il y a les roux et les sauces émulsionnées mais aussi les sauces dites classiques préparées à partir d’un fond qui peut-être blanc ou brun, chaque couleur engendrant toute une déclinaison de variantes plus ou moins complexes. C’est ce qu’on appelle les « sauces mères ».
Un fond de cuisson est destiné à donner une saveur ou une consistance, voire les deux. Pour le préparer, on fait plus ou moins colorer des ingrédients, puis on ajoute un liquide et on fait cuire. Le fond peut-être clair ou lié.
Base des sauces brunes, le fond brun est élaboré avec des os (crosse de veau principalement) qui apportent puissance et goût. On leur adjoint d’autres parures de veau. On mouille à l’eau et on ajoute une garniture aromatique (oignons, carottes, bouquet garni, céleri-branche, persil) et on assaisonne. L’ail est facultatif. On laisse mijoter et on tamise.
Le fond peut être utilisé tel quel, c’est-à-dire en « jus clair », concentré (c’est-à-dire réduit) ou lié avec de la farine ou de la fécule délayée dans du vin blanc, du porto ou du madère et cuit sur feu doux en mélangeant jusqu’à épaississement. Mais à partir de cette base, presque toutes les fantaisies sont permises.
Sauce poivrade et sauce grand veneur
Ce sont les deux sauces les plus classiques pour accompagner le gibier à poil, le lièvre à la royale se préparant un peu différemment, comme nous l’avons vu dans notre dernier numéro.
Pour la sauce poivrade, on part d’un fond brun classique dans lequel on remplace les parures de veau par des parures de gibier tout en laissant la crosse de veau, les os étant le fondement même des fonds. Les parures de gibier gagnent à être préalablement fondues à l’huile, tout comme la garniture aromatique. On mouille ensuite au vin rouge et au vinaigre, qu’on peut couper d’eau et additionner de jus de viande. Et comme son nom l’indique, la sauce poivrade appelle le poivre de manière soutenue. Il ne reste plus qu’à concentrer et à lier.
La sauce grand veneur est une poivrade dans laquelle, hors du feu, on incorpore un peu de sang du gibier et la même quantité de sa marinade réduite, en fouettant.
Quant à la sauce venaison, c’est une poivrade à laquelle on ajoute en fin de cuisson de la gelée d’airelles (à défaut de groseille) et de la crème fraîche.
Il y a parfois confusion entre les appellations grand veneur et venaison.
Blandine Vié
La sauce rouennaise du gibier à plume
Elle est surtout destinée au canard sauvage, colvert ou croisé. Il s’agit d’un fonds à base d’échalotes réduit et lié dans lequel on incorpore à la fin le foie cru du canard pilé, jus de citron et force poivre. Il faut la tamiser.