
Jugée trop riche quand la cuisine se voulait plus légère – mais aussi parce qu’elle est longue et difficile à réaliser – cette recette mythique avait presque disparu. Mais les plats à fort parfum de terroir ont la cote auprès des chefs, étoilés ou pas. Sont ainsi revenus sur le devant de la scène pâtés en croûte, œufs en meurette et… lièvre à la royale.
C’est par suite d’une raison bien triviale que cette recette aurait été créée. Louis XIV ayant été toute sa vie grand amateur de gibier mais souffrant sur ses vieux ans de problèmes bucco-dentaires, ce plat aurait été concocté pour qu’il puisse continuer à en manger, la cuisson du lièvre étant alors menée jusqu’à ce que sa chair s’effilochât.
L’ancêtre : le lièvre en « chabessal »
Toutefois, cette recette avait son doublon dans la cuisine paysanne où elle était préparée avec des lièvres de Braconne attrapés aux collets, donc sans jamais de plomb dans leur chair. Rappelons qu’à l’époque, la chasse était un droit exclusivement seigneurial. Mais pour tromper les apparences (c’est-à-dire les soupçons du garde-champêtre), ils étaient cuisinés avec force alliacées qui masquaient les effluves giboyeux.
La recette patrimoniale qui a prévalu au fil du temps fut celle du Limousin et du Poitou, un lièvre farci avec ses abats (même les poumons) et cuisiné au vin avec des champignons. Arrondi en turban car cuit dans une tourtière ronde placée

feu dessus feu dessous dans les braises de la cheminée, on l’appelait en « chabessal » (« cabessal » en Quercy) par allusion à la coiffe des femmes.
La méthode périgourdine revisitée par Antonin Carême
Le Périgord jouxtant le Limousin et regorgeant de truffes, dès le XVIIIe siècle on en a rajouté dans tous les plats bourgeois, ainsi que du foie gras (d’abord d’oie). À la fin de ce même siècle, Antonin Carême, fondateur de la haute gastronomie, aurait ennobli la recette du lièvre périgourdin en la sophistiquant avec une farce très riche à base de foie gras, de porc, de truffes, d’armagnac, d’aromates, d’herbes et d’épices, etc., le tout fourré dans un lièvre désossé à cru avec une couche intercalaire de foie gras et de truffes. Ensuite roulé, bardé, ficelé, enveloppé d’une mousseline et longuement mijoté à feu doux dans une sauce au vin, le lièvre était ensuite déshabillé puis dressé entier sur un plat et nappé de sa sauce veloutée, liée au sang et au foie gras.
Cette présentation dite « en ballottine » est la recette préférée de la plupart des chefs qui le tranchent plutôt en gros médaillons pour un service à l’assiette. La Maison Rostang en a fait son plat phare.
La méthode dite « poitevine » du sénateur Couteaux
Au XIXe siècle toutefois, le sénateur Couteaux, politicien doublé d’un fin gastronome, jugeant la recette de Carême outrageusement trahie par l’ajout de truffes et de foie gras, prôna le retour aux fondamentaux. Et dans ses chroniques baptisées La Vie à la campagne, il publia « sa » recette en 1898 avec un succès retentissant. Il modernisa la recette de terroir initiale mais elle restait rustique : lièvre cuit non désossé avec une quantité impressionnante d’oignons, d’ail et d’échalotes. Désossé en cours de cuisson, chair et os étaient réintroduits dans le coulis pour un nouveau mijotage, en dégraissant et dépouillant la sauce régulièrement. Au final, on liait avec le sang. La compotée était versée dans un plat creux en éliminant tous les os, ce lièvre se servant à la cuillère.
C’est cette recette que le Poitevin Joël Robuchon avait choisie pour son chef-d’œuvre quand il fit son tour de France chez les Compagnons du Devoir, et c’est aussi celle que Paul Bocuse servait dans son Auberge.
Le Championnat du monde du Lièvre à la royale
Ces recettes ne sont évidemment pas immuables et chaque cuisinier est libre de l’interpréter à sa façon et d’y apporter sa touche de créativité personnelle. Aussi, en 2016, Thomas Boullault (le restaurant l’Arôme* à Paris), né à Romorantin-Lanthenay, y a fondé le Championnat du monde du Lièvre à la royale pour mettre en avant sa région natale où abondent les forêts giboyeuses qui en font un pays de chasse. L’édition 2019 du Championnat du Lièvre à la Royale s’est tenue à l’occasion des 42e Journées Gastronomiques de Sologne à Romorantin les 26 et 27 octobre 2019. Cet évènement était ouvert aux Chefs de Partie, Seconds de Cuisine et Chefs de Cuisine. Les candidats disposaient d’1h30 pour présenter le lièvre à la royale préparé́ selon la méthode dite « en ballottine », héritière de la recette d’Antonin Carême, accompagné d’au moins une garniture et une saucière à part. Après David Boyer l’année dernière, c’est Mathieu Silvestre, sous-chef d’Olivier Nasti au Chambard – également finaliste du MOF 2018 et Meilleur jeune espoir 2015 – qui a remporté le concours.
Blandine Vié