
Le temps des cerises est court, les variétés les plus précoces – françaises, il va sans dire – arrivant en mai et les plus tardives fin juillet. Mais ce sont avec elles qu’on prépare le premier entremets aux fruits frais de l’année : le clafoutis ! Il sera suivi au fil de l’été et de l’automne par d’autres flans aux fruits : abricots, mirabelles, pêches, nectarines, poires, prunes, pommes. Des entremets de la même famille qui se préparent également avec un appareil à flan… mais qu’on ne saurait appeler clafoutis.
À l’origine, le clafoutis est un dessert du Limousin qui se fait traditionnellement avec une variété locale de cerises noires dites « grosses-noires », assez acides, bien qu’on puisse aussi utiliser aussi des « griotas », des « guindous » ou des « bigarelas ». Mais ne chipotons pas : en dehors des cerises cultivées dans les vergers limousins, celles en provenance de Céret dans les Pyrénées-Orientales (souvent les toutes premières), d’Itxassou au Pays basque (variétés Peloa ou Xapata), ou encore les bigarreaux rouges (Burlat, Summit, Reverchon) et toutes cerises à chair rouge ou noire, juteuses et sucrées font également l’affaire. En revanche, les cerises à chair rose ou blanche (bigarreau Napoléon), à peau blanche ou jaune tigrée, conviennent moins car à la cuisson, leur chair s’épanouit moins. Les bigarreaux blancs (Cœur-de-pigeon) sont exclusivement des cerises de bouche. Quant aux cerises acides ou très acidulées, type griottes (Montmorency) ou guignes, elles sont à réserver aux cerises à l’eau-de-vie, aux confitures, et pour émoustiller la cuisine sucrée-salée.
Au passage, signalons qu’il est hérétique de vouloir dénoyauter les cerises, non seulement parce que les noyaux communiquent à cet entremets rustique un parfum incomparable, mais encore parce que dénoyautées, les cerises perdraient leur jus à la cuisson et seraient donc moins savoureuses, tout en détrempant la pâte !
Mais revenons au mot « clafoutis ». En vérité, on croit que clafoutis est synonyme de flan et qu’on peut donc garnir cet entremets avec n’importe quels fruits mais c’est faux. Car sémantiquement, il ne saurait y avoir de clafoutis… qu’aux cerises ! Clafoutis tirerait en effet son nom, par corruption, du mot clafir ou claufir, signifiant « fixer avec des clous » (du latin clavo fingere). En somme, le clafoutis serait un flan clouté de cerises, ce que ne peut démentir son aspect après cuisson ! Et subséquemment, il n’y a de clafoutis… qu’aux cerises ! C’est donc un pléonasme de préciser clafoutis… aux cerises !
Notons tout de même qu’aux confins de l’Auvergne et du Limousin, le clafoutis prend parfois le nom de millard ou milliard (le deuxième i ne se prononce pas). Le mot aurait un lien de parenté avec millas, entremets à base de semoule de maïs qui se préparait autrefois tout le long de la chaîne des Pyrénées, du Languedoc au Pays basque.
Enfin, n’oublions pas que pour que le clafoutis mérite son nom et conserve son aspect clouté, il ne faut pas recouvrir entièrement les fruits pour ne pas les masquer. Aussi faut-il choisir un moule en conséquence, de préférence en terre cuite ou en porcelaine, d’autant que le clafoutis ne se démoule pas.
La ronde des autres flans aux fruits
Les autres flans aux fruits se préparent selon le même principe : fruits entiers ou coupés en morceaux (selon leur nature) que l’on nappe d’un appareil à flan. Flan, un mot qui a fait beaucoup de petits, parfois par des chemins de traverse. Par exemple :
• La flognarde ou flaugnarde (Sud-Ouest : Quercy, Limousin) : C’est un flan aux fruits (pommes ou poires), toujours sucré et de consistance un peu molle.
• La flauzonne : Elle est sujette à de nombreuses variantes, mais toujours sucrée. En langue d’oc, le terme est encore usité çà et là, des contrées cathares à la Provence.
• La flamusse (Bourgogne) : Il s’agit d’un flan aux fruits, donc forcément sucré, mais en croûte. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en Bourgogne, on désignait sous le nom de flan n’importe quelle tarte, comme le souligne Henri Vincenot dans La Vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine : « Le mot tarte n’existe pas. Toute pâtisserie comportant une abaisse de pâte brisée recouverte de fruits est alors appelée “flan”. »
Aussi, plutôt que d’appeler des entremets différents du nom passe-partout de flans, essayons de leur garder leurs jolis noms vernaculaires qui font la richesse de notre patrimoine culinaire.
Blandine Vié