
Entrée emblématique de la Lorraine, elle arrive aussi dans le peloton de tête des plats préférés des Français lors des sondages. En vérité, elle est devenue universelle. D’ailleurs, c’était l’un des plats préférés d’Alfred Hitchcock qui la met en exergue dans son film La Main au collet où la pâte y est même qualifiée de « légère comme l’air » dans une scène entre Cary Grant et John Williams.
En Lorraine, on l’appelle tout simplement « quiche au lard » voire « galette au lard » (Pays messin), ou encore « galette aux chons » (Lorraine du nord). Le mot quiche vient de l’allemand « küchen » (« kuche » en alsacien) qui signifie « gâteau ». Autrefois, on préparait la quiche avec de la pâte levée (pâte à pain), mais aujourd’hui on la préfère en pâte brisée.
À l’origine cependant – et pendant très longtemps – la quiche ne comportait pas de lard. Et dès le XVIe siècle – où le mot quiche apparaît pour la première fois – elle fut l’apanage des boulangers qui avaient le droit de faire des échaudés et des quiches en plus du pain, la pâte feuilletée étant réservée aux pâtissiers. On l’appelait alors « quiche à la crème ». Celles de Nancy étaient très réputées. On raconte que les ducs de Lorraine s’en faisaient servir les jours maigres. Celles de Pont-à-Mousson le furent aussi. Mais ce n’est qu’à l’aube du XXe siècle que la quiche telle qu’on la connaît aujourd’hui semble apparaître, ainsi qu’il en est fait mention dans le Mémorial historique et géographique de la pâtisserie, de Lacam, publié en 1900.
Longtemps sans lard !
En Lorraine, il faut respecter le protocole
Sujette à de minimes variations, la quiche doit impérativement comporter du lard maigre fumé. On peut le faire blanchir mais les Lorrains appréciant beaucoup les charcuteries fumées, ils se dispensent parfois cette étape. En tout cas, il faut ensuite le couper en lardons en prenant soin de bien débarrasser le lard de sa « digone » (couenne) et de ses « croquants » (cartilages) pour une dégustation plus agréable. On les fait ensuite rissoler (sans trop) avant de les éparpiller sur la pâte (sans le gras rendu).
Puis c’est au tour de la « crème ». Il s’agit d’un mélange d’œufs et de crème fraîche (entière) assaisonné avec sel (en fonction du lard), poivre du moulin et pointe de muscade. Localement, ce mélange est baptisé « migaine ». Il se murmure qu’il faut toujours mettre plus de crème (ni trop épaisse ni trop liquide) que d’œufs (on en compte généralement un par personne) dans la migaine. Certains la diluent avec un peu de lait mais ce n’est permis que pour la délayer (et non à sa place). Quant à l’addition de fécule ou de farine dans l’appareil, elle est hérétique ! Versé doucement sur le fond de tarte pour ne pas bousculer les lardons, cet appareil ne doit pas arriver jusqu’en haut car en cuisant, il va gonfler.
Il est alors temps d’enfourner la quiche à four chaud pour environ 45 minutes, jusqu’à ce que sa surface soit dorée. Idéalement, la quiche doit être « chevelotte » (légèrement tremblante) en fin de cuisson, ce qui garantit son moelleux.
Il ne reste plus qu’à démouler la quiche sur un plat rond juste au sortir du four, mais il faut attendre d’être à table pour la découper en « écailles » ou en « pièces » (parts) qui présentent de nombreux morceaux de lard à la coupe.
La variante messine
Au Pays messin (Metz), on admet de compléter la garniture avec du gruyère à condition de ne pas le râper « à la parisienne » mais de le couper en lamelles ou en dés ! Sans déroger à la tradition, on peut aussi ajouter une belle cuillerée de fines herbes ciselées (ciboulette), de même que quelques oignons émincés et fondus.
Ailleurs qu’en Lorraine
Beaucoup de recettes préparées hors de leur terroir ont tendance à être édulcorées et sont donc un peu moins typées voire interprétées avec fantaisie. La quiche lorraine n’échappe pas à la règle, quoique modérément. Ainsi, presque partout ailleurs que dans cette région de l’est de la France, on préfère le lard de poitrine demi-sel au lard fumé. Mais celui-là, il faut absolument le faire blanchir avant de le tailler en lardons.
Comme pour de nombreux plats, d’aucuns cèdent également à la tentation du fromage, ce qui enlève du moelleux à l’appareil, lui donnant une texture légèrement caoutchouteuse.
Traditionnellement servie chaude en entrée, la quiche lorraine peut aussi se manger tiède ou froide. Elle est fréquemment accompagnée d’une salade verte. Elle fait partie des plats qu’on aime à déguster sur le pouce, même au bureau, aussi est-elle toujours proposée dans les boulangeries, comme au XVIe siècle.
Blandine Vié