
Cette recette est sans aucun doute l’une des plus galvaudées de la cuisine française, d’un bout de la France à l’autre, hélas même dans le comté de Nice dont elle est pourtant originaire. On la sert en effet à toutes les sauces, on y omet des ingrédients essentiels, on en rajoute a contrario un tas d’autres totalement fantaisistes qui ne figuraient pas dans la recette de terroir initiale. Or, il ne faut jamais perdre de vue que la cuisine régionale est toujours intimement liée au terroir et aux saisons. Et qu’à la base, c’est une cuisine populaire sinon pauvre, faite avec les ressources de proximité, ce qui ne veut pas dire triste, ni fade. Cette cuisine du cru est au contraire, la plupart du temps, « intelligente » puisque raisonnée en fonction d’une bonne économie domestique, et qui plus est fort goûteuse.
Les inexactitudes les plus fréquentes
• Les légumes bouillis : il est très courant de voir des salades niçoises comporter des pommes de terre bouillies et des haricots verts qui, selon la tradition, n’ont pourtant rien à y faire et ne sont là que pour étoffer une salade composée qui se consomme du printemps à l’automne, le plus souvent en vue d’en faire un plat unique.
Il semblerait d’ailleurs que ce soit le grand cuisinier Auguste Escoffier (1846-1935) qui ait pris le premier l’initiative de rajouter des haricots verts dans la recette qu’il a donnée dans son Guide Culinaire.
Au passage, savez-vous qu’une salade uniquement composée de légumes cuits ne devrait pas s’appeler salade mais « saugrenée ». Ce sont en fait deux fausses jumelles chez qui on retrouve le même radical « sal/sau », c’est-à-dire sel. Mais « L’une se prépare avec des herbes fraîches, l’autre avec des légumes cuits, pois ou fèves de tous les genres, accommodés à l’huile et au sel. » nous raconte Madeleine Ferrières dans « Nourritures canailles » (Éditions du Seuil, 2007).
La salade niçoise est une salade de crudités où les seuls éléments cuits doivent être les œufs durs et — usage beaucoup plus récent — le thon grillé si c’est le poisson (version luxe) qu’on choisit.
• La salade verte : elle n’a pas non plus sa place dans la salade niçoise, même s’il s’agit de roquette (ou riquette) ou de mesclun qui sont pourtant des verdures locales.
• Panacher anchois et thon : si l’on tolère aujourd’hui le thon, ce n’était pas le cas autrefois car il coûtait très cher, bien plus que les anchois dont on faisait provision dans toutes les familles car ils servaient souvent d’assaisonnement (dans les daubes par exemple). Le thon en conserve s’étant popularisé, on peut le préférer aux anchois mais il est hérétique de panacher les deux poissons. Certaines versions luxueuses optent pour du thon frais grillé : c’est une interprétation mais ce n’est pas la règle pour les puristes.
• Les olives vertes : elles sont à bannir car seules sont légitimes les petites olives noires niçoises, non dénoyautées.
• La sauce vinaigrette : elle n’est pas logique, surtout additionnée de moutarde ! Huile d’olive et jus de citron doivent seuls caresser les ingrédients qui composent la belle niçoise. Et oublions tout de suite la mayonnaise.
Et maintenant, les bons ingrédients
Salade de crudités méditerranéenne, elle privilégie évidemment certains légumes du Sud comme la tomate. Mais de la vraie tomate de jardin, mûre et ferme, pas de la tomate batave insipide. Elle invite aussi le concombre en fines rondelles, le poivron de jardin long et vert (de préférence) taillé en fines lanières et des cébettes (petits oignons verts) finement émincées sans lesquelles elle serait orpheline. On dispose tout cela harmonieusement dans un saladier préalablement frotté d’ail et on complète avec des œufs durs écalés et coupés en quartiers, des anchois OU du thon au naturel — que de nombreux chefs remplacent désormais par du thon frais grillé — et des olives niçoises.
En début de saison, on peut rajouter une poignée de petites fèves fraîches écossées et des petits artichauts poivrade très tendres (cueillis avant que ne leur pousse une barbe), coupés en petits quartiers et bien citronnés. Certains rajoutent quelques rondelles de radis et quelques feuilles ciselées de livèche (céleri sauvage), ce qui est plus discutable, livèche et basilic n’étant pas le mariage le plus harmonieux. On assaisonne avec sel, poivre, bonne huile d’olive niçoise et jus de citron. Et on parsème de feuilles de basilic ciselées. Il n’y a plus qu’à mélanger et à déguster.
Blandine Vié