
Ce spectaculaire pâté en croûte puisque, dans sa version originelle, il mesure 60 cm de côté, à l’instar d’un vrai oreiller, que son poids avoisine 30 kg et que sa cuisson dure 7 heures, nous fascine depuis deux siècles. Ces derniers temps, les gourmets ont un regain d’intérêt pour lui, probablement depuis la création du championnat du monde du pâté croûte dont c’est la 10e édition ce mois-ci. Sa complexité en fait en tout cas un défi pour tous les charcutiers de France.
Mais qui est donc cette belle Aurore ?
Il s’agit de Claudine-Aurore Récamier, mère de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), originaire de Belley, capitale historique de la province du Bugey, qui fut l’aîné des 8 enfants de la belle dame. Avocat et magistrat de profession, violoniste estimé, cumulant aussi les fonctions de maire, député, juge, il n’a pourtant laissé son nom à la postérité qu’à cause de sa réputation de gastronome épicurien et de son traité fondateur publié en 1825 : Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante.
Dans sa biographie de Brillat-Savarin (Presses de la Renaissance, 1989), Thierry Boissel nous raconte que la très belle Madame Aurore déborde de vitalité, même lorsqu’elle est enceinte : « Femme au caractère entier, autoritaire, elle se mêle de tout, commande à tous. La Cuisine, la resserre ou la crèmerie, nul ne peut y pénétrer sans son assentiment. Elle confectionne seule des plats savoureux, des sauces exquises dont elle ne confie la recette à personne ; et son pâté, de forme carrée, a fait sa renommée dans tout Belley ; on l’appelle l’oreiller de la belle Aurore. »
Une recette emblématique de notre patrimoine culinaire
Ce pâté est crédité de trois auteurs différents (mais compatibles) selon les sources. D’aucuns disent que c’est Aurore elle-même qui aurait créé la recette. D’autres affirment que ce serait plutôt un hommage de Brillat-Savarin à sa mère. Enfin, il semblerait que Lucien Tendret, lui-même avocat et gastronome et par ailleurs neveu d’Anthelme, secrètement amoureux d’Aurore, aurait concocté cette recette pour éblouir la gourmande qu’elle était. Il l’a d’ailleurs codifiée dans son livre La Table au pays de Brillat-Savarin (1892). Plus probablement, puisque Aurore régentait l’économat de la maison, ils l’ont sans doute conçue à quatre mains.
De la recette originelle à celles d’aujourd’hui
L’oreiller de la Belle-Aurore est un pâté, c’est-à-dire étymologiquement, une farce enfermée dans une enveloppe de pâte (d’où son nom). Ce qui fait d’ailleurs du « pâté en croûte » — dit « pâté croûte » dans la région lyonnaise — un plaisant pléonasme !
Plus précisément, il s’agit d’un pâté pantin, terme désignant un pâté dont la farce peut être simplement enveloppée dans une abaisse de pâte (qui peut être richement décorée) ou bien tassée et

corsetée dans un moule à charnière en fer chemisé de pâte dit « pâté moulé ». Les pâtés pantins se cuisent directement sur la tôle du four. Ils se consomment froids mais parfois chauds.
C’est surtout un pâté de chasse qui comporte à la fois des gibiers à plumes et à poils. La farce se compose d’une quinzaine de viandes différentes (taillées en filets, aiguillettes, cubes, dés, etc.) et de farces assorties disposées en mosaïque ou formant un dessin à la coupe. Dans la recette initiale, il entrait semble-t-il « perdrix rouges, bécassines, cailles, pics-verts, râble de lièvre, poulets, canards, chair de veau, de porc, foies blonds de poulets et poulardes de Bresse, ris de veau, moelle de bœuf, champignons, pistaches, panade, porto et truffes noires ». Aujourd’hui, un certain nombre de ces gibiers ont disparu ou sont interdits de vente ou de chasse. C’est donc l’esprit qui subsiste, avec une grande diversité de viandes mais toujours du gibier à plumes et à poils, ce qui en fait un pâté saisonnier.
Enfin, sous leur belle croûte en pâte feuilletée très décorée, les oreillers ont souvent des dimensions plus modestes, leur poids tournant autour de 15 kg. Sauf peut-être celui de la maison Reynon à Lyon, toujours fait à l’identique.
Le mot de la fin… ou de la faim ?
Laissons-le à Joseph Viola, chef MOF du restaurant étoilé Daniel & Denise à Lyon. Il prépare des oreillers chaque année en automne. Selon la tradition quant à la farce qui est donc giboyeuse. Mais avec humour, il confie qu’il n’a pas toujours la possibilité de réaliser un oreiller dont la panse rebondie requiert beaucoup de temps, étant donné le volume dudit pâté. Alors, plus modestement, il en modifie le galbe et le propose sous forme… de traversin de la Belle-Aurore !
Blandine Vié