
Après le choc de l’annonce, comment organisez-vous votre quotidien ?
Je pense que nous sommes passés par 3 phases. Tout d’abord, un sentiment de vacances. Au démarrage, nous avons apprécié de pouvoir passer du temps dans notre maison, qui plus est avec une météo exceptionnelle. Cette possibilité de profiter de la nature et de voir mon jardin s’épanouir n’arrive que très rarement !
Puis, est venue la prise de conscience, avec la volonté d’avoir une activité et d’appréhender les semaines à venir. C’est là qu’a démarré le projet de mettre en place un marché avec les producteurs. Le premier a eu lieu le 25 avril.
Cette initiative est exceptionnelle pour plusieurs aspects : d’une part, elle permet de reconnecter les équipes, de constater leur mobilisation et leur enthousiasme. Il s’agit d’une très belle remise en marche avant, je l’espère, une prochaine réouverture. Privés de marchés, les producteurs sont ravis de pouvoir à nouveau échanger avec les clients et écouler leurs marchandises. C’est une véritable opération de soutien pour eux, producteurs de saveurs en cette période sensible.
Ce projet nous donne un sentiment d’utilité incroyable. Pour les habitants du quartier, c’est aussi l’occasion d’accéder à des produits vivants, tout en arpentant un site naturel magique surplombant le lac d’Annecy. Au total, nous organisons ce marché sur trois samedis. Le dernier aura lieu le 9 mai, juste avant le déconfinement, pour que les marchés habituels puissent reprendre leur place.
Avec mes équipes, nous organisons des visioconférences une fois par semaine. Au début, nous le faisions tous ensemble puis nous avons formé deux groupes car nous étions trop nombreux. Nos collaborateurs ont besoin de présence et d’échanges.
Qu’avez-vous mis en place pour vos maisons (chômage/prêt/report) ?
Bien sûr, l’annonce a été violente et radicale mais elle a eu l’avantage d’être claire. Nous avons mis les 65 collaborateurs de nos 3 restaurants en chômage partiel et avons utilisé l’outil de Prêt garanti par l’Etat (PGE). Nous avons profité de cette période de fermeture imposée pour concrétiser tous les investissements prévus sur les 18 prochains mois. En 3 mois, la totalité des travaux a été réalisée. Nous voulions y parvenir pour rester dans une optique positive. Au départ, j’étais assez obsédé par la première phase du chantier : couvrir le parking du Clos des Sens. Après l’arrêt des travaux durant une dizaine de jours, les ouvriers ont pu se remettre au travail. Puis, nous nous sommes occupés du Café Brunet et de la brasserie.
Envisagez-vous de modifier l’offre de vos restaurants ?
Pour la réouverture, que j’espère la plus proche possible, nous n’envisageons pas de changement tarifaire ou philosophique des lieux. Nous resterons droits dans nos bottes en réalisant bien sûr les adaptations nécessaires à la sécurité de tous. J’espère réellement que nous pourrons nous exprimer à nouveau culinairement avant le début de la saison estivale. Les jardins sont magnifiques, les abeilles se régalent de fleurs de bourrache, les grenouilles chassent les limaces, les oiseaux chantent comme jamais. L’écosystème bat son plein. Par exemple, mon premier artichaut dégusté la semaine dernière était grand émotionnellement…
Je suis pressé d’ouvrir à nouveau. Lorsque la date sera donnée, cela fera froid dans le dos mais il faudra réagir vite et être prêt. Au départ, je redoutais l’idée de porter un masque en cuisine et en salle. Finalement, avec l’expérience du marché, je me suis rendu compte que l’on s’y faisait très rapidement. Nous nous préparons à cela et avons même commandé des masques personnalisés. Concernant le service de réservations, nous ne l’avons jamais réellement fermé. Nous nous adaptons aux dates, bien sûr. Pour le moment, cela évolue beaucoup pour le mois d’août.
Je suis plutôt optimiste, j’estime une perte de 30 % du CA sur l’année si le redémarrage estival est satisfaisant. Il y aura certainement une deuxième phase avec le retour de la clientèle internationale, mais ce n’est pas pour tout de suite. Je suis en revanche un peu inquiet pour mon bistrot et la brasserie. Ce sont des établissements plus complexes en termes de respect des gestes barrières. Il faudra s’adapter mais ce sera probablement plus lent.
Anecdote / tribune libre
Ce marché est une véritable révélation. Il nous fait passer des journées incroyables. Il y a beaucoup d’ondes positives de tous les côtés, entre producteurs, équipes du Clos des Sens et habitants d’Annecy. Cette pandémie doit permettre à chaque cuisinier de se reconnecter à la terre par l’intermédiaire de ses producteurs, de recréer du lien entre l’humain et la terre. Une idée est d’ailleurs ressortie de cette expérience : je réaliserai deux marchés par an le dimanche, un début mai et le second en octobre pour partager autour de la nature et des produits. J’y vois une forme de démocratisation de la gastronomie et un intérêt que je n’aurais jamais imaginé auparavant.